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François-Rupert CARABIN- 1862-1932

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"L’ouvrier qui s’est élevé, seul, au rang d’artiste"[1]

 

Sculpteur, Carabin l’est dès 11 ans quand il est contraint de quitter l’école pour aider financièrement ses parents. Il est alors employé à sculpter des camées chez l’artisan Parisien Jouanin, un patron attentif qui lui conseille de suivre des cours du soir en dessin, ce que le jeune-homme fait auprès de Perrin. Carabin y fait la rencontre du fils d’un sculpteur sur bois du Faubourg Saint-Antoine, lequel le prendra pour apprenti en 1878. Alors âgé de 16 ans, il travaille en parallèle comme modeleur de masques mortuaires, un métier à travers lequel il étudiera l’anatomie humaine. Habitant alors Montmartre, le jeune homme est fasciné par le monde du théâtre, de la danse et des cabarets et s’attache comme Degas ou Rodin à fixer en sculpture l’équilibre évanescent d’une danseuse ou le mouvement fugace de l’envolée d’une étoffe. Devenu dessinateur technique pour un fournisseur de l’armée, Carabin fait ensuite le tour de la France au gré des emplacements où dessiner pour son employeur. Durant son temps libre, il en profite pour visiter les musées de province et s’exerce à dessiner rapidement, cherchant l’automatisme du mouvement pour capter au mieux l’éphémère d’une posture, la saisie d’un instant.

Une démarche qu’il poursuit dans la réalisation de ses petites figurines en cire et en terre, jusqu’à en présenter une pour sa première exposition publique : le Salon des Indépendant de 1884. Persuadé qu’il y a autant d’art dans un objet usuel qu’une sculpture, Carabin s’essaye ensuite à de nombreuses techniques : le bijou, les médailles ou encore la céramique. Lassé - par son expérience de sculpteur sur bois - de la production en série de meubles copiant les styles anciens, sa volonté directrice sera de "faire le meuble unique, adapté à nos besoins, occuper la place définitive pour laquelle il serait conçu et comme ornementation que des sujets adaptés à sa destination"[2].

Si ses préoccupations sont en phase avec le mouvement de renouveau des arts décoratifs de la fin du XIXe, la tâche de Carabin n’est pas aisée pour autant. En effet, le Salon des indépendants lui refuse en 1890 d’exposer une bibliothèque en noyer sculpté et fer forgé réalisée pour l’ingénieur Henry Montandon, au motif que "l'année suivante on pourrait envoyer des pots de chambre !"[3]. Il y a pourtant de l’art dans cette bibliothèque richement sculptée de femmes allégoriques et de faciès grimaçant que côtoie un bestiaire de fer forgé parmi des palmes et des roseaux ! De l’art et une détermination rare à réaliser sa vision quand on sait que sur les 4000 Francs remis par son commanditaire il en employa 3700 à la réalisation du meuble, qui lui demanda par ailleurs des mois de travail acharné. Mais Carabin le dira lui-même : "Qu’importait la maigreur du bénéfice. J’avais pu réaliser mon idée. C’était le principal."[4]

Déterminé, l’artiste persiste dans sa volonté d’ancrer les arts décoratifs parmi les arts majeurs plutôt que de les voir relégués parmi les arts industriels lors des expositions. Appuyé par Puvis de Chavanne ou encore Rodin, son acharnement est tel qu’une section "Arts Décoratifs" est créé au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts. Carabin y présente donc sa bibliothèque, en 1891.

Il reçoit à cette occasion un accueil qu’on qualifiera de mitigé, l’écrivain Max Nordeau allant jusqu’à affirmer – tout en reconnaissant la puissante originalité de l’artiste - que "les créations de M.Carabin ne sont pas un ameublement mais un cauchemar"[5]. Qu’importe ici encore et l’artiste le dira à l’adresse de ses détracteurs : 

"Du moment que mes œuvres vous irritent c’est qu’elles vibrent ! Vous protestez donc vous êtes émus !"[6].

Et en effet, Carabin aura été remarqué, ce qui lui permet à partir de 1893 d’exposer chaque année au Salon de la Libre Esthétique de Bruxelles. Il acquiert par ailleurs une certaine reconnaissance officielle et, la même année, il obtient les palmes académiques. Sans être dupe de ces honneurs, Carabin continue à crééer, sculptant des petites figures - dont plusieurs de la danseuse Loïe Fuller – avec lesquels il assure son quotidien entre quelques rares commandes pour de riches mécènes.

Au rang de ces derniers on comptera le banquier Albert Kahn. Refusant les concessions, l’artiste perd toutefois ce dernier après lui avoir refusé une sculpture en marbre, un matériau qu’il abhorre. Attaché à la vie artistique Parisienne et une certaine idée des arts décoratifs, Carabin rejettera par ailleurs plusieurs postes à la direction d’écoles d’arts décoratifs qu’on lui offrait à Darmstadt ou à Vienne. Une indépendance au service d’une vision sans concession de son art, que l’irruption de la Guerre en 1914 vient pourtant interrompre puisque Carabin abandonne pratiquement la création cette année. Il s’autorisera toutefois un dernier scandale en exposant en 1919 à la Société Nationale des Beaux-Arts un coffre intitulé "Regard chaste, laisse-moi clos" dévoilant aux regards avertis un groupe en bois représentant deux femmes faisant l’amour. Le goût de l’interdit poussant une partie du public à se défendre de toute pudeur mal placée le sculpteur jubilait de la déconfiture des observateurs autorisés. Une telle ruse ressemble à l’artiste que fût Carabin : un indépendant farouche et facétieux.

Rangé de la vie parisienne, la fin de carrière de Carabin sera celle d’un professeur puisqu’il prend en 1920 la direction de l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg avec la résolution d’y former des ouvriers d’art capables de vivre de leur métier. Déterminé à prémunir ses élèves de l’opposition intellectuelle et des difficultés matérielles qu’il connut en tant qu’artiste, il exerce cette fonction avec rigueur et bienveillance, autour d’une réflexion permanent sur la question du renouvellement des arts décoratifs et leur enseignement, jusqu’à sa mort en 1932.

Dédiée toute entière à une œuvre rare et dont l’inventivité formelle teintée de Symbolisme préfigure l'Art Nouveau, la vie de Carabin et son refus à complaire entourent l’artiste d’une forme d’héroïsme tragique. On ne s’étonnera ainsi qu’à moitié qu’Emond Rostand fût son contemporain (il présente son Cyrano de Bergerac en 1897) tant – et pour peu qu’on l’affublât d’un nez proéminent – on imagine aisément l’artiste déclamer ces vers de l’Acte II, scène 8 :

"Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit,

Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,

Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !

Puis, s’il advient d’un peu triompher, par hasard,

Ne pas être obligé d’en rien rendre à César,

Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,

Bref, dédaignant d’être le lierre parasite,

Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul,

Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !".

 

Car en effet, et en ce qu’il est enfin réintroduit au Panthéon des rénovateurs des arts décoratifs, François-Rupert Carabin est plus que jamais la figure de « l’ouvrier qui s’est élevé, seul, au rang d’artiste ».

 


[1] Colette Merklen-Carabin in L'oeuvre de Rupert Carabin, 1862-1932, Galerie du Luxembourg, 1974, page 29

[2] citation anachronique ici mais qu’il l’écrivit le 17 décembre 1915 dans une lettre à Le Corbusier.

[3] Ibid

[4]   propos rapportés par Paul Gsell dans son article "Rupert Carabin" in La Contemporaine de janvier 1902.

[5] "A propos d’une Bibliothèque du sculpteur Carabin", Revue des Arts Décoratifs, 1890-91, Tome XI, page 47.

[6] Paul Gsell dans son article "Rupert Carabin" Op.cit

 

 

Oeuvres de François-Rupert CARABIN

La maison de ventes aux enchères MILLON vend régulièrement des œuvres de François-Rupert Carabin. Florian Douceron, clerc spécialiste du département Art Nouveau, vous décrypte des œuvres phares de l'artiste :

François Rupert Carabin sculpture en céramique art nouveau estimation gratuite
François Rupert CARABIN, Fontaine, 1893, adjugée 32 000 euros lors de la vente aux enchères "Masters" organisée par le département Arts Décoratifs du XXe siècle

 

Présentée pour la première fois au Salon de la Société Nationale des Beaux- Arts à Paris en 1898, cette fontaine-lavabo témoigne de la puissante originalité d’un artiste à l’érotisme critique et symboliste. Car tout dans cette œuvre relève des canons créatifs de Carabin et notamment son paradoxe permanent d’incarner dans ses sculptures féminines réalistes des idées abstraites. Associant les thèmes de prédilection de l’Art Nouveau que sont la Femme et la Nature, cette œuvre s’impose d’abord à nous par une sensualité toute physique.

En tout premier lieu on est charmé par l’œil, au travers des nuances de bruns, de rouges et de verts dont les jeux de lumière baignent la scène d’une atmosphère à la fois doucement sereine et tristement crépusculaire. Puis, c’est le toucher qui intervient, partagé entre la douceur de la couverte lisse sur la peau la jeune femme et le toucher rugueux du "cuir" de l’outre qu’elle nettoie. Enfin viendra l’action de l’eau s’écoulant et dont on imagine le son qui "tombe comme une pluie de larges pleurs"[1].

Ensuite, c’est par son symbolisme que Carabin nous touche.

Omniprésente chez le sculpteur, la femme est ici encore déclinée avec ce corps "musclé, rond, lourd parfois, [ce] visage grave (…) un peu vulgaire dans son réalisme populaire"[2]. L’érotisme de Carabin n’est cependant pas seulement transgressif : il est aussi transcendant. Car en montrant le corps et ses tourments il cristallise les paradoxes d’une société obsédée à la fois par la morale et le plaisir. Ici, la femme absorbée par sa tâche semble peser sur le réservoir, dans un mouvement qui conjugue l’effort et l’abandon et conserve une certaine grâce. Elle est une figure eschatologique : la manifestation du tragique d’une condition humaine vouée au labeur. Cette composition provoque ainsi des sentiments complexes et contradictoires, entre la fatalité et la douceur.

Si l’artiste est un homme de son temps (c’est-à-dire misogyne) il n’en est pas moins critique en usant de représentation naturaliste du corps féminin pour questionner les tabous de la société et mieux les dépasser. Comme l’écrit Sarah Sik, la force de l’œuvre de Carabin réside dans sa volonté de troubler les frontières non seulement "entre les Beaux-arts et les arts décoratifs, mais, de manière plus provocante, celles entre idéologie et subversion, satire et sérieux, liberté et transgression"[3]

 


[1] Charles Baudelaire, in Les Fleurs du mal, 1857, première section : "Spleen et idéal", poème "Le Jet d’eau" .

[2] Yvonne Brunhammer in L’œuvre de Rupert Carabin, 1862-1932, Paris, Galerie du Luxembourg, 20 mai - 20 octobre 1974, Galerie du Luxembourg, Paris, 1974, page 4.

[3] traduit de l’anglais et de la thèse en Histoire de l’Art Satire and Sadism: François-Rupert Carabin and the Symbolist Treatment of Female Form in fin-de-siècle France, page 80.

 

 

Carabin table de chimiste meuble sculpture en bois art nouveau préempté en vente aux enchères publiques par le Musée d'Orsay
François Rupert CARABIN, Table de travail pour chimiste, 1899, adjugée à 254 000 euros pour rejoindre les collections du Musée d'Orsay

 

"Carabin, artiste charmant et ingénieux, expose une table de bois, large et solide, à laquelle vient s’appuyer le corp nu et souple d’une femme entrouvrant le grand carton qui recueille les papiers."[1]

 

Présentée pour la première fois au Salon de la Société Nationale des Beaux- Arts à Paris en 1898, cette "Table de travail pour chimiste" est d’abord un cadeau offert par l’artiste à un ami. Un ami d’une vie parisienne partagée entre le café de la "Nouvelle Athènes" aux Tuileries et le cabaret Montmartrois du "Chat Noir". Un ami chimiste de profession qui avança souvent l’argent pour les matériaux et la fonte des œuvres de Carabin. Pour autant, cette table relève des canons créatifs de Carabin, du travail du bois à l’incarnation d’idées abstraites dans ses sculptures féminines réalistes.

Carabin est "un amoureux du bois (…) qu’il polit longuement lorsque l’œuvre est achevée, imprégné d’huile de lin, patiné au pouce pendant des heures, des journées, pour obtenir cette douceur du grain, ce brillant mat qui est celui des corps d’athlètes de l’antiquité"[2]. Un résultat qui appelle au toucher, à la caresse.

Passé cette impression première, cette table étonne ensuite par sa structure très éloignées des formes mobilières usuelles, avec sa construction asymétrique et droite où les seules courbes proviennent du décor gravé et sculpté. On retrouve ici un autre trait typique des réalisations de Carabin qui est de « confondre la sculpture et l’architecture »[3] dans la conception d’une œuvre. La construction de cette table apparait à cet égard parfaitement maîtrisé, chacune des lignes droites dirigeant le regard vers le corps et le visage de la femme sculptée. Toute la tension de la composition dirige ainsi vers un moment : celui de la révélation et du travail intellectuel. 

Elle est l’incarnation de la nécessaire mais capricieuse inspiration intellectuelle et scientifique : "Hermès inconnu qui m’assistes, et qui toujours m’intimidas, tu me rends l’égal de Midas, le plus triste des alchimistes."[5]

Avec Carabin le corps de la femme devient ainsi le vecteur d’une connaissance qui réunit dans un même mouvement érotisme, science et ésotérisme. C’est ainsi que Roland Recht écrit à propos des femmes sculptées par l’artiste qu’elles : « tirent de cet état de soumission absolu une vengeance peu banale : elles ne laissent pas de repos à la famille fin de siècle, allégories du Vice terrassant une des vertus cardinales de l’ordre bourgeois et de l’esthétique classique : la convenance »[6].

 


[1] In La Revue des Expositions, 15 mai 1899.

[2] Yvonne Brunhammer in L’œuvre de Rupert Carabin, 1862-1932, Paris, Galerie du Luxembourg, 20 mai - 20 octobre 1974, Galerie du Luxembourg, Paris, 1974, page 9.

[3] propos du critique d’art Gustave Geoffrey  rapportés par Paul Gsell in La Contemporaine de janvier 1905.

[4] Yvonne Brunhammer, Op cit, page 4.

[5] Charles Baudelaire, in Les Fleurs du mal, 1857, section : "Spleen et idéal", poème "Alchimie de la douleur".

[6] in L’œuvre de Rupert Carabin, 1862-1932,op. cit. page 8.

 

 

 

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