"Mon souhait le plus cher est de créer des produits qui, par l’éclat et la séduction des couleurs, peuvent être comparés aux plus belles faïences orientales"[1]
Joseph-Théodore Deck né en 1823 à Guebwiller, dans le Haut- Rhin. D’origine modeste, il doit vite travailler comme apprenti chez le maître poêlier Hügelin père, où il se forme aux techniques historiques de la faïence[2]. Il effectue ensuite le traditionnel tour d’Allemagne des compagnons poêliers-faïenciers alsaciens puis traverse le Rhin pour découvrir les productions autrichiennes, hongroises et polonaises. Installé à Paris fin 1851, Théodore Deck devient contremaître de la maison Dumas avec qui il obtient sa première médaille, à 32 ans, lors de l’Exposition Universelle de 1855. Fort de ce succès il ouvre en 1856 sa propre manufacture - la "Faïencerie d’art Th. Deck" - et se spécialise dans le style oriental, plus particulièrement celui d’Iznik. Son atelier devient un véritable laboratoire expérimental, visant à promouvoir la céramique en tant qu’art et non plus comme une simple application industrielle.
Deck présente sa première collection de faïences persanes au Salon des Arts et Industries de 1861 et en repart avec une médaille d’argent. Mais c’est à l’Exposition Universelle de Londres en 1862 qu’il obtient une réelle reconnaissance en tant qu’artiste, le Victoria & Albert Museum achetant trois de ses œuvres[3]. A la même époque, il découvre son fameux bleu turquoise dit "Bleu Deck", emprunté aux mosquées de Bagdad ou d’Istanbul. Intense et caractéristique, ce bleu sera aussi qualifié́ de "Persan" ou de "Chinois" selon les influences. À l’Exposition des arts industriels de 1864, l’artiste présente des pièces recouvertes d’émaux transparents non craquelés. En 1867, lors de l’Exposition Universelle de Paris, il obtient une autre médaille d’argent pour ses reflets métalliques. En 1873 ce sont les 2 mètres de large de sa jardinière qui impressionnent lors de l’Exposition universelle de Vienne.
Théodore Deck ne laisse jamais indifférent et en pleine vogue du Japonisme en France ses pièces inspirées d’œuvres asiatiques séduisent. On vante ses couleurs son fameux bleu, ses glaçures alcalines. En juillet 1872, l’artiste opte pour la nationalité française et est élu adjoint au maire dans le 15e arrondissement de Paris. Fidèle à la tradition de compagnonnage, Deck forme lui aussi des apprentis qui feront à leur tour école. Le plus célèbre d’entre eux, Edmond Lachenal, poursuivra l’œuvre du maître en développant l’esprit Art Nouveau et en formant également des élèves, parmi lesquels Emile Decoeur.
Dans les années 1880, Deck explore la tradition chinoise, réussissant notamment à retrouver le fameux vert céladon, et collabore avec Raphaël Collin[4]. Puis, en 1887, il est le premier céramiste à devenir directeur de la prestigieuse Manufacture de Sèvres (dont il assurera la direction jusqu’à sa mort en 1891). La même année, il vulgarise ses connaissances dans son livre didactique La Faïence. En 1988 il réalise ses premiers décors en reliefs sous émaux transparents, technique qui deviendra récurrente dans son œuvre et fera école. S’inspirant jusqu’au pastiche des céramiques islamiques, égyptiennes, chinoises, japonaises ou des majoliques, il fait évoluer ornements en tous genres, fleurs, oiseaux et personnages sous des glaçures manganèses jaunes, vertes ou turquoises.
Théodore Deck meurt en 1891, emporté par une pneumonie.
Il est enterré au cimetière Montparnasse où son ami le sculpteur Edouard Preiser - comme lui enfant du village de Guebwiller - réalisa son monument funéraire sur lequel il grava l’épitaphe :
"Il arracha le feu au ciel".
[1] Théodore Deck, dans son ouvrage La faïence, Paris, 1887.
[2] comme par exemple l’incrustation de pâtes colorées à la manière de Saint-Porchaire.
[3] parmi lesquelles le "Vase de l’Alhambra", aux dimensions impressionnantes et cédé par la suite au South Kensington Museum.
[4] Peintre académique et professeur à l'Académie des Beaux-Arts, reconnu pour les liens qu'il fit toute sa carrière entre l'art français et l'art japonais, tant en peinture qu’en céramique.
Oeuvres de Théodore DECK
La maison de ventes aux enchères MILLON vend régulièrement des œuvres de Téodore Deck. Florian Douceron, clerc spécialiste du département Art Nouveau, vous décrypte une œuvre rare de l'artiste :
"J'ai fait la magique étude
Du Bonheur, que nul n'élude.
Ô vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois"[1]
On ne saurait douter de l’attachement à la France de Théodore Deck, natif d’une Alsace encore germanique et qui plus tard choisira de sa naturaliser. Il n’est pas surprenant à cet égard de retrouver un des plus vieux symboles de la France au rang des motifs décoratifs du maître céramiste.
Ce rapport à la Nation n’explique cependant pas seul la présence récurrente du coq parmi les sujets de Deck, qui est également à chercher aux sources Japonistes de l’Art Décoratif de la fin du XIXe[2].
C’est ainsi que Théodore Deck reprends lui aussi le coq dans de nombreuses créations : plats, assiette, panneaux et même comme ici en ronde bosse.
Sous ses dehors familiers, ce coq blanc témoigne d’un travail extrêmement maîtrisé de l’artiste.
Sa forme d’abord dit l’observation précise du sujet, dont les principaux volumes sont admirablement rendus et proportionnés. Nous ne sommes cependant pas en présence d’un projet naturaliste. L’animal est stylisé selon la volonté de Deck, son bec grand ouvert laissant presque entendre son célèbre "cocorico" tandis que le contraste entre le blanc du plumage et le rouge de la crête et du barbillon est souligné par un délicat travail d’ombrage à l’émail céladon.
L’inspiration est ici magnifiée par l’Art et la technique de Théodore Deck qui démontre avec éclat qu’il est le maitre de cette terre à la "force secrète qui, mieux que tout autre, se prête à une sorte de mystérieuse alliance, non seulement avec la main de l'homme mais avec ce besoin quasi divin de donner aux conceptions de l'esprit une réalité tangible."[3]
Dans la lignée de Deck, on peut relever que son élève Edmond Lachenal réalisa également un Coq blanc[4] vers 1884. Encore que celui-ci soit à couverte polychrome on peut aussi noter que la Manufacture de Choisy-le-Roi confia vers 1885 à Louis Carrier-Belleuse et Paul Coméra la création d’un modèle en majolique du gallinacé.
[1] Arthur Rimbaud in "Ô saisons, ô châteaux ...", Les Illuminations, Publications de la Vogue, 1886, page 77.
[2] On pensera notamment au travail de son collaborateur Emile Reiber, fin connaisseur de l’art extrême-oriental qui eut très tôt l’idée de reprendre des formes de bronze asiatiques pour les transposer en céramique.
[3] Renée Moutard-Uldry dans son article "Retour à la Terre" in L’Amour de l’Art, janvier 1946, page 66.
[4] qui figure dans les collections du Musée d’Orsay sous le numéro d’inventaire OAO 1566.