Emmanuel CHABRIER

Emmanuel CHABRIER

. L.A.S. avec MUSIQUE, Cadix 25 octobre 1882, à Charles LAMOUREUX ; 3 pages in-8 ; en espagnol. Extraordinaire lettre avec citations musicales annonçant le projet d’España. [De la fin juillet au début de décembre 1882, Chabrier, accompagné de sa femme, voyage en Espagne, fasciné par la musique espagnole ; elle lui inspirera sa célèbre rapsodie pour orchestre España, qui sera dédiée à Lamoureux, qui en dirigera la création le 4 novembre 1883. Correspondance 82-16]. « Es una barbaridad, es una infamia, viejo y querido amigo ! »… Ainsi commence cette amusante lettre en espagnol, émaillée de deux citations musicales, dont nous donnerons ici un aperçu en français. C’est de la barbarie, une infamie ! Ils arrivent à Cadix et montent dans leur chambre pour entendre, joué sur un mauvais piano (qui doit dater de Philippe II) : [une ligne de musique] « En Cadiz ! En Andalusia ! » Toutes les nuits, ils vont aux bailes flamencos où viennent tous les gitans et leur compagnie, les toreros et leurs garçons, et il prend un plaisir énorme aux soledas, peteneras, malagueñas que les femmes chantent ; et quelles belles et charmantes femmes ! les yeux noirs, les cheveux de même, les jambes nerveuses, les mains et les pieds minuscules, et le postérieur toujours en mouvement, un postérieur toujours magnifique, très développé – le postérieur du pays ; ils ont vu danser la Agua, El Sereno, et surtout le tango : c’est une danse pur flamenco, une sorte d’Americana, de habanera qui cherche à imiter le roulis d’un bateau ; sur un 6/8 allegro non tanto [citation musicale], la danseuse fait maintes contorsions, de la tête, des bras, des jambes, et à la fin de tout le corps, et le postérieur qui tourne et vire sans trêve. C’est quelque chose de très excitant, de très rare ; il faut voir ça ; un récit n’en peut donner l’idée. Dans la tour de la Giralda, à Séville, deux jeunesses, les filles du gardien de la tour (à Séville, les filles sont toutes jolies, un peu petites, mais divinement faites) leur ont donné un bal andalou, bolero, sevillana, seguedilla, avec accompagnement de banduria. De nuit, dans la tour, tout près des cloches qui sonnaient de temps à autre, c’était un spectacle assez poétique et pittoresque ; et puis, le panorama de toute la ville, sous un clair de lune blanc comme neige, était une vraie merveille !... À son retour à Paris, il écrira une fantaisie extraordinaire, très espagnole, avec les souvenirs de ce splendide voyage : ses airs, ses rythmes agiteront tout le public de mouvements fébriles, tous s’embrasseront dans un baiser suprême ; Lamoureux lui-même sera obligé de serrer Dancla dans ses bras, tant les mélodies seront voluptueuses. Chabrier salue pour finir Lamoureux, homme très brave, le chef d’entre les chefs, baguette enchanteresse, bras de fer, œil de feu, tête forte ! Il lui souhaite beaucoup de succès, beaucoup d’argent, une bonne santé. Il part pour Grenade…