Un chef d'oeuvre par Bahman MOHASSESS (1931 - 2010) en vente aux enchères
Un chef d'oeuvre par Bahman MOHASSESS (1931 - 2010)
En vente le 19 Décembre 2022
Quelque part entre l’Italie postfasciste des années 1950 et le Téhéran bouillonnant et amer du coup d’État de 1953, Bahman Mohassess dévoile une des histoires de peinture les plus complexes et intrigantes de l’après-Seconde Guerre Mondiale. Celle qui le mènera de la Caspienne à la Méditerranée orientale, bien qu’il fasse plusieurs allers-retours entre l’Iran et l’Italie au cours de sa vie.
Mohassess comme le montre de nombreuses peintures, dès les années 1960, avait une obsession de la mer ; non seulement comme horizon reliant les continents entre eux, mais également comme force de la nature, capable de ressasser le passé le plus lointain au cœur du présent ; tel le mouvement des vagues de marée basse en marée haute.
Croisant la philosophie existentialiste, la psychologie des formes, la mythologie grecque, la nouvelle poésie iranienne, Mohassess dédie son œuvre, non sans cynisme, à la crise de l’individu d’après- guerre. Son aboutissement se veut la représentation d’une forme de néant humain qu’il interprète également comme une « condamnation de l’être » ou un être réduit à un « assemblage corporel ».
Or, sa méticuleuse dissection du corps humain prend racine dans une philosophie sceptique de la modernité à tout prix. Soumettant au jugement des Anciens l’homme nouveau du progrès industriel, cette philosophie se nourrit aussi bien des événements politiques que des catastrophes naturelles ; elle s’élève contre le pouvoir déshumanisant des machines dans un monde sans repères, rencontrant ainsi les écrits de Jalal Al-e Ahmad (dont Mohassess fut également un proche), sur la « maladie » de l’occidentalisme (ou l’influence néfaste de l’occident sur les pays du Tiers-monde).
Sans titre est un tableau qui représente sans aucun doute la période la plus prolifique et intense dans l’œuvre de Mohassess. Au milieu des années 1960, le voici de retour à Téhéran après un long séjour à Rome où il s’est formé à la sculpture. Nourri de son amour pour les formes volubiles de Henry Moore et celles plus hiératiques d’Alberto Giacometti, il crée ses personnages populairement connus comme les Bi dast-o pâ (les « sans mains ni pieds »). Il s’agit, comme le montre Sans titre, d’une bande de pantins désarticulés qui végètent toujours à proximité de la mer, dans un monde sans Dieu ni Maître, sinon la volonté de leur créateur (ce dernier n’hésitera pas à détruire ses propres œuvres par négation de la postérité).
Les « sans mains ni pieds » d’aspect plutôt squelettique (reliés à l’esprit des vanités) voire extra-terrestre (reliés à l’esprit des montres), en sont réduits à quelques fragments de pierre presque sans vie. Morts d’ennui ou buvant un dernier coup, comme le personnage de Sans titre, sur un terrain vague ou une plage abandonnée, on les imagine tombant d’un ancien monde mythologique et atterrissant sur le sable froid de la modernité où les mythes se perdent.
Cette forte ambivalence entre des temps anciens, salvateurs, et les temps modernes, destructeurs, se trouve rejouée avec le personnage de Sans titre. En effet, Mohassess utilise ici une figure archétypale de l’antiquité, particulièrement cultivée chez les Grecs mais présente dans bien d’autres cultures : celle de la figure portant un vase ou une jarre servant de récipient pour l’eau, l’huile, le lait, le vin ou encore la farine, les olives, le blé...
Une tradition iconographique dans laquelle la figure se contente de porter cette jarre ou de la déplacer, mais rarement d’en boire le contenu d’une traite : détail ironique propre à Mohassess, manifestant un rapport à l’antique, loin d’être désincarné, touchant à la chair, aux plaisirs terrestres et surtout à la transgression – paradoxalement avec l’aspect squelettique de cette figure dont on ne saura pas si le geste de buveur relève davantage de la survie ou de la jouissance pure.
Ce tableau fait en réalité partie d’une série, il est un des rares spécimens qui a pu être retrouvé et sauvé de la destruction ou de l’oubli ; série dans laquelle on retrouve également des personnages mangeant une grappe de raisin ou encore jouant de la flûte, à la manière d’un faune musicien, un autre thème très cher à Bahman Mohassess.
Cela nous rappelle qu’une des plus célèbres sculptures de Mohassess ayant été érigée dans l’espace public de Téhéran (avant la révolution de 1979 qui déboulonna la plupart des statues), n’était autre qu’un faune musicien, avec sa flûte et ses parties génitales au vent, trônant majestueusement sur un haut piédestal, devant le théâtre de la ville.
Une figure paradoxale de transgression jouissive mais également porteuse d’une alerte pessimiste, ainsi qu’elle apparaît dans la poésie moderniste de Nima Youshidj, que Mohassess considérait comme son plus proche ami et mentor ; par exemple dans ses poèmes comme Khâne-am abrist (« Ma Maison est nuageuse ») de 1952, où apparaît le dit « joueur de flûte » ou « faune musicien » :
« Ma Maison est nuageuse / La terre fait corps avec elle / Des hauteurs du col / Le vent ivre et déchiqueté tourbillonne / Dévastant le monde entier / Et mon esprit avec lui ! Ô joueur de flûte, comme la plainte de la flûte/T’a emporté au loin ! » ni pieds »). Il s’agit, comme le montre Sans titre, d’une bande de pantins désarticulés qui végètent toujours à proximité de la mer, dans un monde sans Dieu ni Maître, sinon la volonté de leur créateur (ce dernier n’hésitera pas à détruire ses propres œuvres par négation de la postérité).»
Morad Montazami
Huile sur toile
199 x 71,7 cm
Signé et daté "B. Mohassess.66" en bas à gauche
Signé et daté au dos "B.Mohassess, 7.1966".
Un certificat de la succession Bahman Mohassess sera remis à l'acquéreur
Provenance : Collection particulière, Canada.
Bibliographie : Cette oeuvre a été présentée dans le film “Fifi hurle de joie” (Fifi Az Khoshhali Zooze Mikeshad) réalisé par Mitra Farahani, Avec Bahman Mohassess, Rokni Haerizadeh, Ramin Haerizadeh.