Henry DE GROUX (1866-1930)
Napoléon Ier à Longwood, Sainte Hélène, 1896
Pastel sur papier marouflé sur toile
Signé en bas à gauche
114,5 x 143 cm
(Petite restauration, sauts de matière en partie gauche)
Provenance:
Collection particulière
Expositions:
- L'Art Nouveau, Galerie Siegfried Bing, Paris, 1897/1898
- Salon du Champ de Mars, Société nationale des beaux-arts, 1899
- Galerie Galerie Georges Petit, Paris, 1901.
Bibliographie:
Reproduit dans La Plume: revue littéraire et artistique bi-mensuelle, numéro de 1899 consacré à Henry de Groux, p.233. C'est également dans cette revue que figure un catalogue des œuvres de l'artiste, réalisé par Paul Ferniot.
Nous remercions M. Jérôme Descamps pour sa collaboration.
Après sa défaite à Waterloo le 18 Juin 1815, Napoléon Ier abdique. Jouant avec habileté avec l’attachement des anglais pour la liberté et le droit d’asile, il s’en remet à leur protection. Parallèlement, ces derniers souhaitent le faire captif, et assumer eux-mêmes sa garde pour le compte des puissances alliées plutôt que de le livrer à un pouvoir français encore faible. Toutefois désireux de ne pas reproduire la même erreur que lors de l’exil à l’île d’Elbe, leur choix se porte sur l’île de Sainte Hélène, suffisamment éloignée et qu’ils entendent contrôler plus strictement, rendant impossible toute fuite. Napoléon est vivant mais bel et bien captif ; lecture, jardinage, dictée de ses mémoires et promenades rythment ses journées. Toutefois l’on imagine aisément l’ennui que pouvait représenter pour lui cette vie édulcorée.
C’est ce cadre que choisit Henry de Groux pour notre pastel. Par le choix de ce sujet, il réussit à mettre à distance tout panache, préférant dépeindre la déchéance et sans doute une forme de vanité de l’existence, aussi glorieuse fusse-t-elle. N‘a-t-il pas représenté le mythique Pégase décharné dans une œuvre intitulée Pégase chez l’équarrisseur (1893) ? De la même manière, son vibrant Christ aux outrages (1899), n’est-il pas le parangon de cette thématique ?
Les œuvres dans lesquelles il représente Napoléon sont d’ailleurs pour la plupart éloignées de l’imagerie héroïque qu’il nous est habituellement donné à voir. De Groux préfère effectivement représenter Napoléon en proie aux torpeurs de l’âme humaine ; ainsi c’est un empereur en pleine introspection, le regard bas, qu’il dépeint dans La veillée de Waterloo; méditatif dans une autre œuvre titrée Napoléon à Sainte Hélène ou bien traversé par le doute dans la version de Napoléon à la retraite de Russie conservée au musée Léon Dierx. De même, son Napoléon au Pont d’Arcole, loin d’être saisi lors d’un assaut victorieux, est représenté dans la réalité du champ de bataille : charnier, yeux creusés, couleurs sombres et nuances angoissantes.
Dans notre pastel, Napoléon à Longwood, Sainte Hélène, c’est un empereur déchu, affaibli par l’exil, solitaire, méditatif loin du tumulte des batailles, qu’il nous est permis de contempler. Aux armes se substituent une pelle et un râteau tandis que les affres d’un champ de bataille sont remplacées par la sérénité du jardin de Longwood, propice à l’introspection. Le bicorne a laissé place à un modeste chapeau de paille, qui figure d’ailleurs dans l’inventaire de la garde-robe de Napoléon dressé par Marchand dans ses mémoires.
Le format de cette œuvre rend pour sa part hommage au qualificatif de « peintre de la démesure » souvent octroyé à l’artiste. La composition qui s’y déploie baigne dans un tumulte de couleurs fougueuses et vives tandis que l’œil est irrémédiablement attiré par la puissance de ce crépuscule aux tonalités vibrantes. Au symbolisme des aigles, jadis artefact de gloire et planant désormais au-dessus d’un Napoléon déchu, s’ajoute l’écho symboliste de ce ciel crépusculaire vibrant, marquant le crépuscule de la vie d’un empereur qui n’est plus …
Henry De Groux dans sa correspondance avec l'écrivain Léon Bloy, le 28 mai 1896, évoque cette œuvre: "J'ai dix nouveaux tableaux dont je vous enverrai des photographies. […] Enfin un Napoléon à Sainte-Hélène, dans un paysage atroce, coiffé du panama et en train de jardiner dans le plus prudhommesque des accoutrements et, cependant, encore sublime et terrible…C'est du moins ce que j'ai essayé de faire…"
« A Bruxelles, vers la tombée du soir, je pénétrais pour la première fois dans l’atelier d’Henry de Groux. Jusque-là j’ignorais presque Henry de Groux. Le tumulte causé jadis à Paris par l’apparition d’une de ses premières œuvres n’avait point élargi ses ondes jusqu’à ma province […] De Groux vous oblige impérieusement. Sa peinture n’est pas seulement la représentation d’un fait. Elle est toujours un drame humain dont le sens se rattache aux grands problèmes et exposé par un homme qui sait, et qui voit. » - Léon Souguenet dans la Plume : revue revue littéraire et artistique bi-mensuelle, numéro de 1899 consacré à Henry de Groux, p.193-194.
J.D